La longue enquête du quotidien à propos du financement du régime répressif birman par le pétrolier français a mis en rogne ce dernier. Une campagne publicitaire de 50 000 euros prévue dans les pages du journal vient d’être annulée en représailles.
L’indépendance de la presse se paye bien souvent au prix fort face aux pouvoirs d’argent. Le Monde vient d’en faire l’amère expérience. Le célèbre quotidien du soir vient de se voir retirer sans ménagement 50 000 euros de campagne publicitaire par Total, selon Libération. Aucune raison n’a été officiellement donnée pour justifier cette décision par ailleurs confirmée par le journal. Son timing en revanche ne fait l’ombre d’aucun doute. L’information surgit en effet deux jours après la diffusion par Le Monde d’une enquête fleuve sur les micmacs de Total en Birmanie.
Une relation problématique avec la junte
Il s’agit notamment du rôle joué par la compagnie pétrolière française dans le financement de la junte militaire qui dirige d’une main de fer le pays. Un régime répressif qui s’est à nouveau emparé du pouvoir le 1er février dernier à travers un coup d’État. C’est d’ailleurs en exploitant les milliers de documents fuités de ce putsch que Le Monde a découvert le pot aux roses. Ces fichiers révèlent en effet que la firme de Patrick Pouyanné exploitant d’un gisement gazier dans le pays depuis 1998, a mis en place un système très généreux au profit des militaires birmans. Ce montage financier implique notamment la rétribution par Total via un paradis fiscal des Bermudes à coups de milliards de dollars de l’entreprise Moattama Gas Transportation Company (MGTC), propriétaire du pipeline exploitée par le pétrolier français et dont la junte compte parmi les actionnaires. En échange, Total verse très peu d’impôt dans les caisses de l’État birman.
Les responsables de Total se défendent de toute manœuvre illégale, mais l’information n’est pas moins embarrassante pour une entreprise dont les agissements hors du territoire français a trop souvent été en cause. D’autant que la dérive autoritaire du régime birman a de quoi irriter la communauté internationale, y compris la France.
Le Monde a les moyens de son indépendance
Les représailles de Total envers Le Monde ne devraient toutefois pas pénaliser ce dernier outre-mesure. Le journal fondé par Hubert Beuve-Méry étant engagé depuis quelques années dans l’optique de pouvoir se donner les moyens de son indépendance. Cette dynamique a vu le groupe devenir de moins en moins dépendant de la publicité avec seulement 38,6 millions d’euros de recettes y découlant pour un chiffre d’affaires de 168 millions d’euros en 2019. La place des abonnements est ainsi devenue de plus en plus grande pour les finances du journal.