Le système managérial à la française se caractérise de plus en plus par le culte de l’apparence et la capacité à manipuler des chiffres, alors que la vraie compétence et la connaissance du métier sont jetées aux orties.
« On continue de croire que l’entreprise valorise l’expérience, la connaissance du métier. Mais ce qu’on attend désormais d’un manager, ce n’est plus de savoir, c’est de s’ajuster. Lire les signes, adopter les bons codes, se fondre dans la norme. Et surtout, ne pas poser les questions qui dérangent ».
Le constat dressé dans le magazine Le Point par Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS, est autant lapidaire que révélateur d’une tendance qui prend de l’ampleur dans le monde professionnel en France. Celle-ci est notamment marquée par le règne du paraître.
Plus que ce que l’on souhaite montrer, l’important se révèle être la façon de le montrer, de l’enrober, chiffres et autres tableaux explicatifs à l’appui. Voici venu donc le temps des managers adeptes des présentations PowerPoint.
« Je me rends compte qu’aujourd’hui, ce qui compte, ce n’est plus vraiment ce qu’on sait faire, mais la manière dont on le raconte », confie à cet effet Pierre dans Le Point.
Fossé grandissant entre la hiérarchie et les salariés
Ce développeur expérimenté et adoubé par les collègues a eu la mauvaise surprise de voir un poste de responsable auquel d’aucuns le prédestinaient en raison de ses compétences avérées, lui passer sur le nez dans l’entreprise informatique qui l’employait depuis six ans.
La cerise sur ce gâteau au goût amer : la direction lui a préféré un profil plus jeune, plus à l’aise avec les tableaux de bord et les indicateurs de performance. Cette histoire qui n’est malheureusement pas isolée, illustre le fossé grandissant entre une certaine hiérarchie et les salariés en entreprise.
Avec des conséquences désastreuses. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) révélait en mars 2025 que le niveau de confiance des salariés français envers leur encadrement est l’un des plus bas du continent.
Des indicateurs révélateurs d’un malaise profond
Dans la même lignée, « le taux d’accidents du travail est l’un des plus élevés d’Europe », d’après Danièle Linhart. Plus alarmant, selon Gallup, seuls 7% des salariés français se déclarent réellement engagés dans leur travail – soit un taux de désengagement de 93%.
Et d’après le baromètre Qualisocial-Ipsos 2024, 44% des salariés affirment être en détresse psychologique. Autant d’indicateurs révélateurs du profond malaise de nature à brider certains esprits brillants, mais pas toujours parmi les plus démonstratifs.
Jean-Claude Delgènes, économiste et fondateur du cabinet Technologia, rappelle qu’il fut un temps où la France se vantait : « On n’a pas de pétrole, mais on a des idées« . Cette capacité à innover, à penser autrement, semble s’être dissipée sous le poids « d’une compétitivité excessive qui a divisé les équipes et déshumanisé la productivité ».